Le Caire, une mégapole du Sud


Entre 1950 et 2005, le taux d'urbanisation de la planète est passé de 30 à 50 %. Dans ce phénomène de croissance urbaine, ce sont surtout les très grandes villes qui ont connu les progressions les plus fortes. Les villes sont de plus en plus nombreuses, elles sont surtout de plus en plus grandes, notamment dans les pays en développement, pays dits du Sud pour les distinguer des pays riches du Nord. L'ONU utilise le terme de mégapole pour désigner les villes qui comptent plus de 8 M d'habitants. Le Caire avec ses 14 M d'habitants entre dans cette catégorie.

On peut se demander en quoi cette ville est une illustration de ce que peut être une mégapole du Sud.

Le gigantisme cairote se marque de diverses manières et ses origines sont diverses. Il donne lieu à des formes d'extension spécifiques et n'est pas sans conséquences environnementales et sociales.



Le caractère mégapolitain du Caire peut se lire dans plusieurs domaines et d'abord dans ce qui fait le cœur de la notion de mégapole, le nombre de ses habitants. Entre 1920 et 2005, la ville a connu une croissance importante de sa population de 1 à 14 M. Cette croissance a induit l'extension de la surface urbanisée, de 10000 ha en 1920 à 70000 ha en 2000. Mais cette croissance du bâti ne suffit pas à répondre aux besoins en logements. Près de 3 M de Cairotes sont obligés de se loger dans des zones à habitats précaires sommairement aménagées comme les cimetières (la cité des morts), les toitures des immeubles où l'on trouve les cités des toits ou encore dans des bidonvilles qui fleurissent au centre comme à la périphérie de la ville sur des terrains de l'Etat.

Mais l'attraction forte du Caire peut s'observer également dans des éléments plus positifs comme la présence dans la cité des grandes enseignes de l'économie mondiale, Mac'Do, Benetton, Philips, ..., qui n'hésitent pas à s'installer et investir dans la capitale égyptienne marquant ainsi leur intérêt pour cette ville. De la même façon, on peut voir dans le fait que la compagnie aérienne, Egyptair, relie Le Caire à presque tous les continents un signe de l'intérêt que le monde a pour cette ville.

Les raisons de cette attraction urbaine sont essentiellement liées au fait que le Caire est la capitale du pays. On y trouve tous les services de l'Etat, gouvernement et ministères avec tous leurs employés. Un emploi de fonctionnaire sur deux est basé au Caire. La ville est également le siège de la Ligue arabe et reçoit pour cela de nombreuses personnes du Moyen-Orient. Dans le domaine de l'éducation, la primauté du Caire, vieille ville universitaire avec la présence de l'université dans la mosquée d'Al-Azhar, est aussi une réalité puisque la moitié des étudiants égyptiens étudient dans cette ville.

Le secteur privé a également un poids essentiel. La moitié des emplois des secteurs tertiaires et industriels égyptiens se trouvent au Caire. Cette forte activité économique génère un nombre d'emplois plus important qu'ailleurs et contribue en cela à l'attractivité de la ville.

Enfin certains services vitaux ou les plus développés d'Egypte comme les hôpitaux ou l'aéroport complètent le rôle de pôle majeur du pays qu'a le Caire. Ils contribuent à la mise en valeur de l'important patrimoine culturel égyptien qui se trouve aux marges de la cité et qui est constitué par un ensemble architectural archéologique de valeur mondiale comme la pyramide de Chéops. Patrimoine qui attire des touristes du monde entier et contribue à la création de richesses et d'emplois.


La diversité des facteurs de cette extension urbaine contribue à lui donner des formes très variées.


Devant la croissance de la population, l'habitat constitue une des formes les plus importantes et visibles de l'extension de l'espace urbain. Mais c'est un habitat pluriel selon les lieux et les catégories de population.

Dans le centre ancien, on rencontre des éléments architecturaux typiques des villes arabes, parfois réhabilités, mais souvent pour loger toute la population on assiste à la densification du bâti par surélévation des immeubles. Cela pose des problèmes de sécurité et l'on assiste à une taudification des habitations les plus anciennes qui ne sont plus entretenues ou le sont mal.

Il y a donc développement de l'habitat précaire, au centre où même les toits et les cimetières sont ocupés par des abris plus ou moins solides mais également à la périphérie où de nombreux terrains de l'Etat ont été lotis plus ou moins légalement et où apparaissent des bidonvilles. C'est le cas dans le delta du Nil, sur les terres agricoles.

Mais pour faire face au problème du logement et canaliser le développement urbain, l'Etat à planifier et réaliser la construction de villes nouvelles en périphérie de la ville dans le désert, comme celle de Six Octobre. Mais en raison de leur éloignement et des difficultés pour y accéder, ces villes n'ont pas encore vraiment permis d'améliorer la situation de la ville au point de vue de l'habitat.

L'économie donne également des formes urbaines spécifiques. Les bâtiments industriels et les bâtiments commerciaux (restaurants, boutiques, complexes hôteliers, ...) se sont développés. Le centre des affaires (CBD, Center Business District) avec des buildings construits en hauteur et qui abritent des sièges sociaux d'entreprises, des banques, des assurances, .... marque l'espace urbain.

Enfin, les infrastructures urbaines organisent et permettent le fonctionnement de la ville. Ce sont tous les équipements économiques et techniques d'une société. Les voies de communication (voies rapides, périphériques, métro, ...) et leur points d'accés (échangeurs autoroutiers, gares, aéroport, ...). Au fur et à mesure de sa croissance, Le Caire s'est doté d'un réseau de voies rapides surélevées et de deux lignes de métro. Le périphérique fait plus de 75 km de long.

Les équipements pour la gestion de l'eau (distribution et retraitement) dans une ville de 14 millions d'habitants ont une importance vitale. La station d'épuration de Gabal El Asfar est parmi les plus importantes au monde; elle traite chaque jour plus d'un milliard de litres d'eau rejetée par la capitale égyptienne. Le groupe canadien Axor procède actuellement à son agrandissement, elle pourra traiter 50 % d'eau en plus.

De plus les équipements pour l'alimentation électrique ou la collecte des déchets marquent physiquement la ville. Mokattam est un quartier du Caire qui s'est spécialisé dans le recyclage des ordures. Ses habitants, chrétiens coptes pour la plupart, recueillent et recyclent les ordures de la mégalopole.


Cette situation a des conséquences environnementales et sociales qui affectent la vie quotidienne des Cairotes.


La densification du bâti et l'entassement des populations génèrent de nombreux problèmes environnementaux. Malgré les voies rapides et le métro, le trafic routier est saturé en permanence dans la ville du Caire avec comme conséquence la pollution de l'air, du bruit et la multiplication des risques d'accident.

L'utilisation de l'eau est également très difficile pour une partie de la population qui a un accès au réseau d'eau potable par intermittence. Dans ce domaine, le retraitement des eaux usées, malgré de gros efforts de la part des pouvoirs publics, est loin d'être complet. Une grande partie des eaux usées par les particuliers ou les industriels est directement rejetée dans le Nil contribuant à la pollution du fleuve mais également à la pollution des terres agricoles qui sont irriguées par ces eaux. Ainsi, les rares terres agricoles du pays qui sont grignotées par l'urbanisation galopante sont également soumises à des atteintes écologiques.

Le ramassage des déchets, enfin, ajoute des nuisances supplémentaires. Il n'est pas régulier. Les détritus s'accumulent dans les rues ou même entre les immeubles. Même le ramassage de ces ordures concentre les problèmes. Mokattam est un quartier-décharge.

Le développement démographique de la ville et celui de l'habitat précaire, aggravé par le fonctionnement de la ville et les nuisances qu'elle produit, au delà de ses effets environnementaux, a des conséquences sociales. La précarisation de la partie de la population mal logée, soumise à des risques sanitaires (pollutions, utilisation d'eau impropre à la consommation, ....) s'accompagne souvent d'un chomage important. La plupart des jeunes Cairotes sont sans travail fixe et/ou officiel, ils subissent l'insécurité et se résignent à un avenir incertain. Par exemple, de nombreux jeunes ne peuvent se marier faute de travail et de logement, éléments indispensables pour fonder une famille dans un pays musulman où la religion dicte les conduites sociales.


Ainsi, Le Caire, mégapole par le nombre de ses habitants cumule un certain nombre de caractéristiques : forte croissance démographique et urbaine, précarisation de l'habitat, pauvreté, déficit de gouvernance publique qui provoque la multiplication de problèmes sociaux et environnementaux, ... On retrouve tous ces éléments dans d'autres très grandes villes du Sud par exemple au Brésil à Rio de Janeiro, la ville aux 650 favelas (bidonvilles) qui connait pratiquement la même situation. On peut donc dire du Caire que c'est une mégapole du Sud.